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Privés par les Accords d'Evian de la nationalité française (1), dépouillés de leurs armes, sans protection de l'armée française qui a reçu l'ordre express de ne pas intervenir pour leur porter secours, isolés dans leurs villages au sein d'une population souvent hostile, les harkis sont à la merci de l'ALN (Armée de Libération Nationale), dont les troupes qui étaient stationnées en Tunisie et au Maroc, entrent en Algérie, après l'intervention du cessez-le-feu du 19 mars 1962. En nombre et avec leurs armes. Dans un premier temps, le nouveau pouvoir algérien alterne promesses d'amnistie et menaces. Puis les sévices, les assassinats, les enlèvements commencent, souvent du fait des "Marsiens", combattants de la 25ème heure qui veulent racheter leur passivité antérieure. Les harkis sont arrêtés et abattus. En masse, lors des deux principales vagues de répression en été et en automne 1962. Quelquefois par unité entière, par village entier, par famille entière, les femmes et les enfants n'étant pas épargnés. Les massacres perpétrés sont d'une barbarie et d'une ampleur sans précédent.
L'HORREUR DES MASSACRES
Les supplices qui précédent la mort sont d'une cruauté
inouïe et peuvent durer plusieurs heures, quelquefois plusieurs jours
: corps ébouillantés, dépecés, enterrés
ou brûlés vifs, énucléations, membres découpés
en lanières et salés, anciens combattants contraints d'avaler
leurs médailles avant d'être brûlés vifs dans
le drapeau français....
Selon des témoignages rapportés par Camille Brière
(2) "certains harkis furent crucifiés sur des portes, les yeux crevés,
le nez et les oreilles coupés, la langue arrachée, systématiquement
émasculés... D'autres furent dépecés vivants
à la tenaille, leur chair palpitante jetée aux chiens...
Quant aux familles, voici ce qui les attendait : des vieillards et des
infirmes étaient égorgés, des femmes violées
puis éventrées, des nourrissons, des jeunes enfants avaient
la tête écrasée contre les murs sous les yeux de leur
mère..."
Dans un compte-rendu destiné à sa hiérarchie,
M. Robert, sous-préfet en poste à Akbou, arrondissement situé
en Kabylie, dresse de façon précise et détaillée
la chronique macabre des exactions - supplices, assassinats, enlèvements,
viols collectifs, enfermement dans des camps - subies par les harkis et
leurs familles dans sa circonscription après le cessez-le-feu du
19 mars 1962, jusqu'à la fin décembre 1962. Il note parmi
les victimes "la proportion non négligeable de civils qui est de
l'ordre d'un tiers, constitué d'élus de tous rangs, de chefs
de villages, d'anciens combattants..." (3). S'agissant d'un document officiel,
établi par un haut fonctionnaire concernant des faits dont il a
été amené à avoir connaissance dans l'exercice
de ses fonctions, il ne peut être soupço
nné d'exagération.
L'aspect cathartique des massacres est souligné par Mohand Hamoumou
(4) : "la plupart furent humiliés et torturés publiquement,
longuement avec un luxe de raffinement dans l'horreur. La mort était
une délivrance, d'où la recherche de morts lentes pour faire
durer l'expiation. Le supplice est destiné à rendre infâme
celui qui en est la victime et à attester le triomphe de celui l'impose.
Plus le doute est permis sur le l'infamie de l'accusé plus le supplice
doit être démesuré pour persuader l'assistance de la
culpabilité de la victime".
D'autres sont faits prisonniers et enfermés dans des camps (5),
dans lesquels la Croix Rouge recensera, en 1965,
13 500 personnes. Certains seront employés à des taches
dangereuses telles le déminage, à mains nues, avec une jambe
coupée préventivement. D'autres enfin sont enlevés
: ce sont ainsi des milliers de harkis et de pieds-noirs qui disparaissent
dès après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, puis au cours
des deux principales vagues de répression qui interviennent en été
et en automne 1962, et de celles qui interviendront plus tard entre 1963
et 1966. Sans que les autorités françaises pourtant souvent
informées des lieux de leur détention ne s'en inquiètent,
et donnent même des ordres pour qu'aucun secours ne leur soit apporté
(6), et pour que soient sanctionnés ceux des militaires, souvent
anciens responsables de SAS, qui de leur propre initiative, achemineront
leurs hommes et leurs familles vers la métropole et vers le salut
(7). Et pour que soient chassés des bateaux les harkis qui auront
embarqué clandestinement, et renvoyés en l'Algérie
ceux qui seront parvenus à rejoindre clandestinement la France...
(8)
L'AMPLEUR DES MASSACRES : 150 000 VICTIMES
Les chiffres peuvent toujours donner lieu à controverse. Il est
cependant possible d'avancer le nombre de 150 000 victimes, en s'appuyant
sur différentes estimations rappelées notamment par Abd-El-Azziz
Meliani, (9) et par Mohand Hamoumou (4) : celle du service historique des
armées qui, dans une note officielle en 1974, estime à environ
150 000 le nombre des harkis disparus ou assassinés ; celle du chef
du 2 ème bureau à Alger qui retient également ce chiffre
de 150 000 ; celle de monsieur Robert, sous-préfet d'Akbou, qui
dans le compte-rendu officiel où il relate les faits survenus dans
son arrondissement après le cessez-le-feu, fait état de 2000
victimes en moyenne par arrondissement, soit 150 000 environ pour les 72
arrondissements algériens (3) ; celle de l'historien Guy Pervillé
qui situe ce chiffre entre 30 000 et 150 000 ; celle d'Anne Heinis qui,
dans un mémoire de 1977 sur l'insertion des français-musulmans
(10) situe également ce chiffre entre 30 000 et 150 000 ; celle
enfin d'André Santini Secrétaire d'Etat aux Rapatriés
en 1986-1988 qui, pour les harkis et les pieds-noirs massacrés ou
disparus au moment de l'indépendance de l'Algérie, donne
les chiffres de 150 000 et 10 000.
Dans un rapport officiel de mai 1962 le contrôleur général
monsieur de Saint-Salvy a pu écrire : "les crimes de guerre commis
en Algérie depuis le 19 mars 1962 sont sans précédent
depuis la dernière guerre mondiale, dépassant tout ce qui
avait pu être constaté en Asie ou en Afrique noire" (10).
De ces crimes de guerre, l'Etat français s'est rendu coupable de
complicité par sa passivité volontaire, alors qu'il connaissait
parfaitement la situation et qu'il disposait encore des moyens militaires
suffisants en Algérie pour protéger et secourir ses ressortissants.
(1) Les accords d'Evian
Rubrique Histoire
(2) Camille Brière "Qui sont les harkis ?"
Editions de l'Atlanthrope
(3) Compte-rendu officiel du sous-préfet d'Akbou
Rubrique Histoire : Documents
(4) Mohand Hamoumou "Et ils sont devenus harkis"
Editions Fayard
(5) Témoignages concernant les camps de prisonniers et
les enlèvements
Rubrique Histoire : Documents
(6) Circulaire de Louis Joxe
Rubrique Histoire : Documents
(7) Directive du colonel Buis
Rubrique Histoire : Documents
(8) La Responsabilité de l'Etat français
Rubrique Histoire
(9) Abd-El-Azziz Meliani dans "La France honteuse. Le drame
des harkis"
Editions Perrin
(10) Anne Heinis " L'insertion des français-musulmans
"
Montpellier III thèse de
troisième cycle 1977
(11) Rapport officiel de mai 1962 du contrôleur général
Monsieur de Saint-Salvy
cité par Abd-El-Azziz Meliani
dans "La France honteuse. Le drame des harkis"
Editions Perrin
(°) Voltaire